La traversée de la Meije, voilà bien une course qui marque une carrière d’alpiniste. Sommet emblématique des Ecrins, chargé d’histoire et dont les multiples tentatives d’ascension ont peu à peu laissé un nom à tous les passages de ce qui est devenu aujourd’hui une immense classique : Dalle Castelnau, Dalle des Autrichiens, Pas du Chat, Cheval Rouge…
Mais l’ascension du Grand Pic n’est qu’une partie de la course. Lors de la traversée des arêtes, on visitera toutes les dents, les unes après les autres jusqu’au Doigt de Dieu, dernier sommet avant la Meije Orientale.
L’approche, déjà une course
Le voyage a commencé vendredi, après avoir posé les enfants à l’école, on boucle les sacs et on fait route vers la Grave. Vers 11h, nous attaquons la montée, avec le Grand Pic et la Brèche de la Meije en vue, 2000m plus haut. Direction plein Sud dans le versant Nord, c’est là-haut qu’on va.
L’avantage de ne pas prendre les remontées (qui de toute façon sont fermées), c’est que l’on visite tous les milieux de la montagne. L’étage montagnard, avec les vaches au chalet de Chalvachère, dans les mélèzes. L’étage sub-alpin, où l’on progresse encore dans les arbres, mais où la végétation se fait plus rase. L’étage alpin, presqu’exclusivement minéral dans le haut des Enfetchores. Enfin, l’étage nival lorsque l’on prend pied sur le glacier pour franchir la brèche de la Meije.
Le temps est magnifique, et la montée est agréable, malgré les légendaires cailloux de l’Oisans. Assez vite on attaque les Enfetchores, ce bel éperon qui surplombe le vallon et qui remonte jusque sous la Meije. L’itinéraire y est intelligent, et utilise au mieux les vires et les faiblesses du terrain. On ne met que peu les mains sur le rocher, ce qui parait surprenant vu d’en bas. Sur le haut il faut bien faire attention à quitter l’éperon à temps par une traversée vers le glacier. Nous avons dévié de 5 ou 10m du cheminement classique, ce qui nous a permis de ramasser de belles fleurs d’une plante médicinale montagnarde bien connue.
Le chemin est encore long pour la brèche, et sans traîner nous remontons les premiers névés, qui rejoignent le glacier. Il faut alors s’encorder long, les crevasses étant nombreuses et profondes.
La brèche s’atteint par un petit parcours de mixte au-dessus de la rimaye. Elle marque une frontière entre l’ubac, versant Nord, venté, à l’ombre et enneigé, et l’adret où le soleil réchauffe encore les rochers.
Pour nous
qui connaissions la brèche au printemps, c’est un peu la désillusion : la neige laisse place à des dalles raides et exposées, recouvertes de sable et de gravier pour le moins casse-gueule. Nous tirerons un rappel pour plus de sécurité. Une fois sur la neige, le refuge est à portée de main.
7h, D+ 2000m, D-450m
Refuge du Promontoire
Les plus grands alpinistes se sont assis sur ces bancs en bois, dans cette petite boîte tôlée surplombant le vallon des Etançons. Ils ont dormi sur ces couchettes, et ont profité de la terrasse à la vue incroyable.
En revanche, ce qu’ils n’avaient pas c’est l’accueil de Fredi et Nath, emblématiques gardiens du refuge depuis 5 saisons. De vrais montagnards passionnés qui alimentent un site internet permettant d’obtenir des infos en direct de la montagne : conditions, ascensions, photos…
La nuit est réparatrice, et le réveil sonne à 5h. Quelques cordées sont déjà parties une demi-heure plus tôt, mais nous avons opté pour la deuxième vague.
Ascension du Grand Pic de la Meije
Le départ se fait depuis la terrasse du refuge, entre le bâtiment principal et les toilettes. Pas d’approche, on est tout de suite dans le bain.
La première section se fait à la frontale, et nous doublons une cordée (un guide voironnais et deux clients) dans le pas du Crapaud, premier passage d’escalade sur l’arête. La suite s’enchaîne bien malgré l’obscurité et sans encombre nous remontons des cheminées pour atteindre le couloir Duhamel.
A la sortie du couloir, nous croisons la cordée de Catalans contraints au bivouac après une tentative de descente nocturne. Ils ont le sourire, malgré la nuit difficile qu’ils viennent de passer.
Le prochain passage est la dalle Castlenau : petit pas d’escalade en dalle qui ne pose guère de problèmes. La voie tire ensuite à droite, puis revient à gauche de manière à contourner la Muraille Castelnau. On est ici à l’aplomb du Glacier Carré, et le rocher est ruisselant : 100m plus haut, le Glacier Carré est suspendu en pleine paroi et fond au soleil.
Une belle traversée oblique à gauche nous amène au Dos d’Ane : une dalle bombée en très beau rocher. A ce point, Olivier s’aperçoit qu’il a laissé ses bâtons au refuge… !
Petite traversée à droite pour atteindre la Dalle des Autrichiens après une cheminée raide. Encore un beau passage d’escalade, où nous butons sur une cordée de Briançonnais.
Le prochain jalon est le Pas du Chat. Ici, on est sur le fil de l’arête et un petit pas aérien permet le passage. Le rocher change alors du granit au gneiss, de façon brutale.
Des vires et dalles faciles donnent ensuite accès au Glacier Carré. Nous savourons l’instant : c’est assez particulier de se trouver sur cette plaque de neige suspendue si souvent admirée de loin.
Les conditions sont bonnes, et nous remontons en oblique vers la brèche donnant accès au Grand Pic. Par des rochers brisés, on atteint assez vite le dernier passage clé : la dalle du Cheval Rouge. Escalade fine sur de toutes petites prises pour se retrouver plein gaz en face Nord.
La suite est sans histoire jusqu’au sommet, par l’arête.
Et voilà. Sommet du Grand Pic de la Meije.
5h, D+900m
Traversée des Arêtes
Quand on regarde vers l’Est, on mesure le chemin qu’il reste à parcourir. Une deuxième course va commencer. Mais pour l’heure, nous descendons à la ligne de rappel en face Nord du Grand Pic. L’ambiance est alpine, et à partir de là, on mesure l’engagement : plus de retour en arrière possible.
Les rappels nous amènent à la Brèche Zsigmondy. Une traversée aérienne sur une arête effilée horizontale mène ensuite au départ du parcours en face Nord pour contourner la Dent Zsigmondy. Un câble facilite le parcours, qui serait sinon rendu autrement plus technique. Néanmoins, si le câble facilite la progression (en le tenant à la main), il ne permet pas de sécuriser la progression. En deux courts passages, il est pris sous la glace, mais rien de bien méchant.
La remontée de cette goulotte est assez belle et demande un peu de technique glacière malgré l’équipement. La fatigue commence à se faire sentir un peu, mais nous sommes bien dans l’horaire.
Suite du programme : on monte à la 2ème Dent. Un petit rappel nous amène dans la brèche suivante, qui remonte ensuite à la 3ème Dent. Rappel de nouveau, puis 4ème Dent. Rappel de nouveau sur une belle pente neigeuse, puis montée au Doigt de Dieu. A chaque fois, la cordée qui nous précède (toujours le guide avec ses clients) nous oblige à patienter un peu au rappel.
Enfin, c’est l’ascension du Doigt de Dieu, ultime difficulté. La fatigue est bien présente et nous nous économisons à chaque pas. Il faut maintenir l’attention à toutes les manips qu’il reste. Un premier rappel de 15m nous amène à un relais, d’où on atteint une brèche. Les coincements de corde sont fréquents ici, et peuvent compliquer la suite. Pas de problèmes pour nous, et avec le sourire nous regardons descendre le nœud dans les rochers. Encore un petit rappel depuis un petit collu, vers les derniers rochers avant la neige. Ca y est, on y est presque.
Dernier rappel depuis les rochers jusque sous la rimaye : un bon 50m sur les pentes de neige raides.
Ca y est. Les difficultés sont derrière nous. Nous reprenons l’encordement long et le refuge de l’Aigle s’atteint rapidement. Olivier verse sa petit larme : un rêve vient de se réaliser, ici et maintenant.
6h, D+250m, D-700m
Refuge de l’Aigle
La mythique petite bâtisse en plein vent est officiellement fermée. Plus de gardien, juste les tables et les chaises, et les bas-flancs en bois. Les mêmes qu’en 1910, année de construction. Elle nous offre néanmoins un abri sympathique et confortable avant d’entamer la descente.
Nous nous étions laissé la possibilité de passer la nuit ici, en cas d’arrivée trop tardive ou de grosse fatigue. Mais la météo n’annonce rien de bon pour le dimanche, et il est plus sûr de descendre ce soir.
Tant pis… nous n’aurons pas dormi à l’Aigle, dernier refuge historique des Alpes, dans sa version originelle. Les travaux d’aménagement du nouveau bâtiment doivent commencer lundi.
Après une bonne pause réparatrice, il faut maintenant descendre avant l’arrivée du mauvais temps.
La descente
1800m de descente sont devant nous alors que les sommets sont déjà pris par les nuages. L’itinéraire suit le glacier un moment, puis emprunte la Vire Amieux, astucieux passage dans l’éperon Nord du Bec de l’Homme. Le sentier suit ensuite un moment l’arête, pour finalement plonger dans le vallon Nord-Est, cap sur la vallée.
Très caillouteux au départ, le chemin devient plus agréable par la suite. Mais on est quand même en Oisans, et cette descente est assez typique : c’est looooong et la nuit tombe.
Une manip de voiture me permet d’atteindre La Grave et de remonter au Pont des Brebis chercher Olivier, et 2 autres gars que l’on déposera au Bourg d’Oisans.
3h, D- 1800m
Voilà. On a été à la Meije.
Si vous avez le temps,
voici un diaporama de près de 300 photos...